Art et techniques du Feu de camp

Quiconque a déjà assisté à une belle veillée autour d'un feu après une journée de travail ou de marche et ressenti cette chaleur humaine qui s'en dégage, cette union dans le chant, comprend la valeur de celle-ci : elle repose le corps et élève l'âme. Quelques techniques sont donc indispensables pour garantir sa réussite... et éviter autant que possible l'improvisation qui ne donne qu'un piètre résultat.

" Les feux de camp à la scoute sont un trop grand et puissant moyen sur les âmes pour que nous nous désintéressions de leur préparation. "

R-P Jacques Sevin.

" Qu’il soit spectaculaire, que tous les étrangers, invités ou passants y soient conviés, ou que ce soit seulement une bonne veillée entre campeurs, le feu de camp ne doit jamais être médiocre. "

M. Decitre, in Veillées et feux de camp, Ed. Dumas, Tome 1 (1946).


LA MYSTIQUE DU FEU DE CAMP

" Y a-t-il une mystique des feux de camp ? Cette question n’étonnera aucun de ceux qui ont goûté le charme de ces nocturnes assemblées fraternelles. Déjà, l’homo faber et son ancêtre, l’homme des bois, ont allumé des feux, le soir, pour éloigner les bêtes sauvages, pour conjurer les terreurs de la nuit, pour créer une zone paisible, où ils pouvaient s’assembler, partager leur butin de chasse, échanger leurs premiers sentiments d’êtres humains. Ces feux primitifs prirent peu à peu de l’ampleur : c’était comme un noyau lumineux autour duquel venaient se cristalliser des groupements humains. La petite flamme devint un immense brasier ; le feu de clan fut le foyer de la tribu.

Chez les tribus nomades, chez les peuples guerriers, le feu fut employé comme un signal qu’on allumait d’une colline à l’autre pour annoncer un péril ou bien une victoire. Chaque soir, au terme de la pénible étape, la flamme s’élevait au centre du bivouac. Elle apparaissait comme un point de ralliement, elle brillait comme une étoile tombée sur la terre enténébrée, elle était une source de chaleur, de réconfort et d’espérance.

Lorsque les hommes, groupés en familles, se bâtirent des maisons, il y eut autant de feux et de foyers que de maisons et de familles. Mais le feu n’est pas seulement un signe de ralliement et un catalyseur. Il est aussi un instrument de consomption et un destructeur. Devant cette puissance étrange et contradictoire, les hommes se sentirent pénétrés d’un sentiment tragique. La flamme fut pour eux un symbole mystique : ils l’adorèrent, ou du moins ils en firent un attribut de l’être divin et un ornement du culte. Le feu fut l’instrument du sacrifice, avant de devenir un véhicule de grâce et de richesse. On vit bientôt la flamme dans le temple, entretenue comme un trésor divin par les Vestales. Et le père de famille avait aussi, tel un pontife, le soin de garder en son foyer la flamme. De leur côté, les prophètes usèrent du feu pour châtier les coupables, mais aussi purifier les lèvres des justes.

>En notre monde égaré qui cherche sa voie dans la pénombre, le feu de camp se présente avec un incontestable caractère d’opportunité. Sous une forme primitive, il offre en vérité une formule neuve. Son cadre, son atmosphère sont tout différents de ceux des veillées traditionnelles. La veillée rurale se déroule dans une chaumière ; la veillée d’armes, dans une enceinte ou quelque forteresse ; la veillée de prières, dans une chapelle. Ce sont des assemblées closes… Le feu de camp, lui, se déroule en plein air, sous les étoiles ; la nature est son cadre et la liberté son atmosphère.

Un feu de camp bien conçu possède une vie organique. Cette assemblée d’amis doit devenir un corps, elle doit sentir passer en elle un courant de sympathie, qui fera d’elle une personne vibrante. Car la chaleur rayonnante du feu n’est que le symbole d’une autre chaleur, plus intime, d’un autre rayonnement, de nature spirituelle. Cet organisme fraternel est un organisme hiérarchiquement articulé. Il comporte trois éléments constitutifs : le Meneur, le Chœur, le Public. Le Meneur en est la tête, le Chœur en forme les membres et le Public les entrailles. " 

René Duvillard, Préface à Veillées et feux de camp, Ed. Dumas, Tome 1 (1946).


LE CADRE

Le cadre doit se choisir avec le plus grand soin. Si la veillée s’adapte aux situations les plus diverses, le cadre doit contribuer à l élévation de l’âme : au sommet d’une colline, au pied d’un calvaire, devant une église, dans une clairière, en forêt, face à la mer, devant une belle cheminée, etc., mais certainement pas au milieu d’édifices en béton ou près d’un dépotoir. Il y a des lieux propices et d’autres détestables qui coupent l’imagination, qui profanent le sacré.

Le cadre, nous pouvons parfois le créer ou, tout au moins, l’améliorer : la pénombre aide grandement. Réunis dans une grange en raison de la pluie ou devant l’âtre d’un vieux chalet, quelques accessoires bien choisis peuvent permettre de créer une ambiance : torche ou bougie pour l’éclairage, drapeaux, bannières, fanions ou étendards pour la dimension sacrée, simples poncho ou foulard pour costumes… autant de petites choses qui agrémentent une veillée et qui peuvent lui donner toute sa dimension.


LE FEU

Le feu est l’élément central du feu de camp. C’est lui qui rassemble et est au centre du groupe. Sa préparation doit donc être minutieuse : qu’il soit en cône ou en pyramide, il doit être monté à l’avance afin qu’il conserve le plus longtemps possible sa forme primitive et une réserve suffisante de bois doit être prévue.

Il faut se méfier du vent et placer le feu de telle sorte que la fumée ne soit pas ramenée vers l’assemblée, faute de quoi ce sera un intempestif concert de toussotements, de raclements de gorges et de fuites rapides du public.

Le gardien de feu ne doit pas oublier qu’il est le machiniste et que tous les jeux de lumière lui sont dévolus. Il doit avoir les données du Meneur de jeu pour savoir exactement quand il lui faudra faire un feu pétillant et vif avec les branches de sapin, des brindilles ou encore une atmosphère lourde avec la fumée, en jetant sur le feu des feuilles humides. Au contraire, la fin de feu de camp, au moment où les esprits sont reposés et invités à la méditation et à la prière, appelle des braises rougeoyantes plutôt que de vives flammes.


L’ORGANISATION D'UN FEU DE CAMP

Quand on établit le programme du feu de camp, il faut avant tout penser au public : il s’agit donc de ne pas présenter des thèmes compliqués devant un public qui n’y comprendra rien. Au contraire, la situation, le contexte, le cadre peuvent intelligemment conditionner la trame de la veillée.

Face à la mer, on peut évoquer l’île d’Ouessant, le combat nautique de Lépante, le songe de Don Bosco sur la mer, la traversée de saint Brondon, les prouesses d’un officier de marine, le trafic d’un vieux pirate ou la vie du recteur breton.

Le château appelle Blanche Neige ou le chevalier, la dague et la ruse, la cape et l’épée, ou le " bracelet de vermeil ".

L’abbaye ramène le goût du beau, du vrai, du bien, le refuge des pauvres, l’aventure de la sainteté, le jongleur de Notre-Dame.

La grotte retentit du pas d’un chouan, brille du butin des contrebandiers, sonne des incantations de la sorcière. La mine, c’est le vieux cheval du mineur.

La forêt, c’est la cabane du charbonnier et son charbon de bois…

cf. Père Crespel, l’Art du conteur,
in Sachem, organe de l'association française des scouts et guides catholiques, n°87 à 90


Tout feu de camp ne comporte pas nécessairement un thème particulier ; pourtant, celui-ci garantit une certaine unité, conditionne le choix d’un certain nombre de chants, et suscite particulièrement l’intérêt du public, surtout quand il correspond au contexte même du feu de camp.

Le même thème peut ainsi donner lieu à des jeux, des sketchs, des bans, des chants, une évocation historique…

Exemple classique : le thème de LA MER : voici quel pourrait être le choix opéré :

Chants : Santiano, Le 31 du mois d’août, Hé garçon prend la barre, Le corsaire, Les Marins de Groix, Miserere de la Mer… Bans : Rame, Bâbord – Tribord… Jeux : le sous-marinier… Evocation historique : le combat nautique de Lépante.

S’il est en général aisé de trouver des chants s’adaptant à un thème, il n’en est pas toujours de même des sketchs, des jeux et des bans : rien n’empêche alors d’en inventer ou d’en adapter au thème choisi !

En tout état de cause, il faut faire en sorte que l’intérêt croisse au fur et à mesure, pour se terminer en beauté. En conséquence, le feu de camp doit toujours suivre une courbe (voir schéma) : il commence par exemple par des chants d’appel à la veillée ou par des chants relativement calmes pour continuer (phase ascendante) par des chants plus dynamiques, plus rythmés, auxquels on ajoute des sketchs, des jeux et des bans pendant lesquels l’enthousiasme et l’énergie du public doit pouvoir s’exprimer (sommet du feu de camp). Le feu de camp se poursuit (phase descendante) par des chants plus lents, plus doux, auxquels on peut ajouter une évocation historique (noble exemple, vie de saints, etc.) qui nourrira et introduira le mot du chef ou de l’aumônier pour enfin s’achever par la prière.

Un feu de camp réussi appelle à la fin au silence absolu : les corps se sont exprimés au sommet du feu de camp ; toute l’énergie à été libérée. La fin du feu de camp invite à la contemplation, à la méditation et à la prière. La courbe revêt alors toute son importance : quelque soit la durée du feu de camp, aucune phase ne doit être délaissée.


LE MENEUR DE FEU DE CAMP

Le Meneur de feu de camp est l’organisateur, ou plutôt le chef d’orchestre et le metteur en scène tout à la fois. C’est lui qui prévoit la courbe de veillée, choisit les chants, dirige la préparation des sketchs, des jeux, des évocations ou, tout au moins, s’assure que tout est ordonné. Il fait en sorte que tout s’enchaîne dans le feu de camp sans qu’il n’y ait aucun " blanc ", c’est-à-dire aucune hésitation, aucune erreur de synchronisation qui nuisent à l’harmonie de l’ensemble et risquent fort de détourner l’attention du public, voire même de prêter à la distraction, aux bavardages ou aux rires à des moments inopportuns.

" Comme au sein d’un organisme biologique, il y a dans l’organisme psycho-social du feu de camp une hiérarchie des fonctions et des valeurs. De même que la tête prime les membres et les entrailles, ainsi le Meneur de jeu tient un rôle de premier plan, qui détermine l’action du Chœur et conditionne la réaction du public.

Tel Meneur, tel Chœur, tel Public. Pour une large part, le succès d’un feu de camp dépend du Meneur : il est vraiment l’âme du jeu, il est vraiment le feu des âmes. Ce qu’est à la flamme le pourvoyeur en combustible, il l’est, lui, à l’enthousiasme communautaire : c’est lui, par sa magie, qui le fait crépiter ou le transmue, à son gré, en paisible veilleur.

Un bon Meneur doit posséder –cela s’entend- les qualités d’un chef. Mais ces qualités sont d’un chef de guerre et non d’un capitaine d’industrie. Le Meneur de jeu s’apparente beaucoup plus à un chef d’orchestre qu’à un directeur de spectacles ou même à un régisseur ou un metteur en scène. Le vrai Meneur de jeu n’est pas un Pontife et il est plus qu’un Apôtre : il est Prophète. Ce n’est pas tant un homme qui commande et recommande, qu’un homme qui suscite et ressuscite.

Evidemment, ce tempérament artiste, bien qu’il soit primordial et irremplaçable, s’avère néanmoins insuffisant et inefficace quand il n’est pas doublé de tout un lot de multiples compétences, d’un objet plus positif. En particulier, le Meneur de jeu travaillera pour acquérir un solide talent d’organisateur. En outre, il doit être animé d’un constant souci de la forme et de l’ordre. Sans doute dira-t-on que c’est demander beaucoup à un seul homme. Nous en convenons ; et c’est pourquoi les bons Meneurs de jeu, comme en tous les domaines les bons chefs, sont si rares.

Pas plus qu’on ne peut s’ériger du jour au lendemain, à la faveur d’un putsch ou d’une révolution, tribun des foules ou conducteur de peuple, on ne saurait s’improviser Meneur de jeu et posséder d’instinct le sens de l’équipe et de l’organisation. Mais il ne suffit pas, pour entraîner une masse, de suivre la pente de son tempérament et de s’abandonner aux sourdes puissances de son instinct.

Or, le Meneur de jeu est lui aussi un tribun qui harangue les foules ; il est même, toutes proportions gardées, un conducteur de peuple. Et il doit se méfier, comme de la peste, de tomber dans les excès et les travers. "

René Duvillard, Préface à Veillées et feux de camp, Ed. Dumas, Tome 1 (1946).


LE CHANT

" Le chant est l’expression même de la vie, l’explosion de l’âme qui, sous une impression plus violente, de joie, de douleur ou de simple bien-être, se répand au dehors comme pour se raconter à elle-même et aux autres, et pour inviter tous ceux qui l’entourent à partager son émotion joyeuse ou douloureuse.

Traduction extérieure de la vie, le chant est naturellement aussi l’expression d’une âme collective. Toutes les corporations, toutes les professions ont leurs refrains traditionnels : chants de métiers, chants de soldats, chants de matelots… "

" Ajouterai-je quelques mots sur la " manière de s’en servir " ? Chantez scoutement, ai-je dit. Or, chanter, ce n’est pas… brailler à plein gosier comme si le volume de notre voix était la mesure de notre enthousiasme. Il y faut, et la mesure et la nuance, et la variété. Il faut, et ceci s’applique particulièrement aux solos, dire nos chansons. (…) Notre salle d’audition, c’est la clairière ou la vaste lande. Nous ne devons pas compter sur les richesses de l’accompagnement pour compenser la pauvreté des voix ; d’où la nécessité d’apprendre à chanter en parties si nous voulons étoffer nos ensembles. Les faits sont là pour prouver que c’est possible, facile même avec un peu de bonne volonté. (...) Si le carnet de chansons est ridicule entre les mains d’une troupe en marche, répétons qu’il ne l’est pas moins, au feu de camp, sous le nez du scout qui donne un morceau dont il ignore les paroles, en braquant sur la page blanche l’œil rond de sa lampe électrique. Diction convenable, émotion et poésie sont également impossibles en pareil cas. Pour chanter avec cœur, il faut chanter par cœur.

En toute beauté, art simple, perfection du détail, seule devise digne de l’ " ouvrier " scout, et c’est là mon dernier mot. "

R-P Jacques Sevin, Préface à Les chansons des scouts de France, Ed. Spes (1936).

La pratique apprend qu’un meneur de chant (qui peut être le Meneur de feu de camp ou un autre) s’avère très utile, surtout quand l’assemblée est nombreuse ainsi que pour les canons. Ce meneur dirige l’exécution : il entonne le chant (qu’il connaît par cœur, cela va sans dire), en impose le rythme, en marque la fin. Il doit être vu de tous : il doit donc être debout et marque le rythme par le mouvement des mains. Dans la pénombre, le port de gants blancs peut permettre de mieux discerner le rythme imposé.


LE SKETCH

Le jeu scénique est une part essentielle d’un feu de camp. " C’est lui qui exige le plus de talents, le plus de cœur aussi. En lui se conjuguent et s’harmonisent la couleur et le son, la forme et le mouvement, la ligne et le rythme. Avant même d’aborder le jeu dramatique, il importe de savoir s’exprimer par le geste et la parole, il est bon, nous dirons même il est nécessaire, de savoir chanter, de savoir danser, de savoir inscrire son activité propre dans une action commune.

Ce n’est pas quelque chose que l’on répète ni que l’on interprète, ni même qu’on exécute, c’est quelque chose avant tout que l’on crée. (…)

Lord Baden-Powell recommande lui aussi cette méthode : " Donnez le canevas d’une scène courte et simple, dit-il, et distribuez les rôles en indiquant à chacun quelque chose de ce qu’il a à dire et à faire. Puis laissez-le jouer et trouver les mots qu’il faut. Cela développe l’imagination et la facilité à s’exprimer d’après les lignes arrêtées d’avance. Il y a là un précieux moyen d’éducation ". Et il ajoute : " On fera bien de n’avoir pas pour commencer trop d’ambition ".

Car il s’agit moins d’improviser chacun de son côté que d’imaginer et de préparer en commun. En bref, il faut découvrir peu à peu, par des approximations et des corrections successives, la forme parfaite d’expression dramatique, grâce au libre jeu concerté. "

René Duvillard, Veillées et feux de camp, Ed. Dumas, Tome 1 (1946).

Plusieurs sources d’inspirations sont possibles, en fonction du style que l’on veut donner au sketch : drôle, dramatique, burlesque, parodique… Ce peut être une légende adaptée à la scène, une saynète extraite d’un roman ou d’une histoire quelconque, une scène ou un acte d’une pièce de théâtre (comédie, tragédie), ou encore un sketch repris à un comique (c’est une source précieuse et quasi inépuisable dont il faut cependant se méfier grandement).

En tout état de cause, il convient d’adapter le texte au feu de camp, afin d’éviter le style décousu, les vulgarités (surtout quand il s’agit d’un texte repris à un comique), les lourdeurs et les longueurs. Il est souvent bienvenu d’intégrer le sketch aux thèmes du feu de camp, quitte à en modifier plus ou moins l’histoire et les personnages pour ne conserver que la trame générale. Ainsi, le sketch ne vient pas dans le déroulement du feu de camp " comme un cheveu sur la soupe " : Évitez par exemple dans un feu de camp sur le thème de la Vendée militaire de présenter, entre le petit mouchoir de Cholet et le chant de Monsieur Henri, la scène des mots à la belle Marquise du Bourgeois gentilhomme, ou sur le thème des croisades un sketch de Coluche. A moins de l’introduire d’une façon extraordinaire…

LA MISE EN SCENE :   Un sketch doit être dynamique : c’est la clé de sa réussite ! Pour cela, il est bénéfique de le prévoir relativement court. Dynamique implique que chaque acteur connaisse parfaitement son rôle, qu’il prenne pleinement possession de l’espace et travaille la gestuelle et la diction. Prenez possession de l’ensemble de la scène, quelque soit le nombre de personnages mais surtout s’ils sont nombreux : ne restez pas tassés dans un coin et restez toujours face au public. N’hésitez pas à faire de grands gestes : dans la pénombre, cela soutient ce que vous dites. Vous pouvez aussi prendre le public à partie, vous approcher brusquement ou tout doucement d’une personne pour lui faire une confidence, lui poser une question…

La mise en scène représente 80% de la réussite d’un sketch : un texte assez plat peut devenir hilarant s’il est dit avec des expressions, des mimiques, des gestes et un déplacement étudiés. Inversement, un texte réellement comique perd toute sa saveur et tombe à plat s’il est mal dit. Quant à la tragédie, elle a vite fait de devenir ridicule voire pathétique.

LA NARRATION ET LA DICTION :  Articulez, articulez plus que de normal. Forcez votre voix, soignez votre élocution : vous devez être entendu et compris de tous. Contrôlez votre débit afin de réaliser l’effet désiré. Les temps de silence peuvent avoir aussi leur importance. La voix peut être monocorde ou enthousiaste, haletante ou confidentielle, tout dépend de ce que l’on dit et de la manière dont on se livre. Un geste peut précéder et annoncer ce que l’on va dire : cela maintien l’attention en éveil.

LES COSTUMES :   Certains sketchs appellent nécessairement des costumes, d’autres moins. Un feu de camp sur la chevalerie, la Vendée militaire ou la Gaule romaine se conçoit mal sans costumes, ce dans un souci de réalisme et d’élévation de l’imagination du public. Au contraire, un feu de camp plus simple, sans thème particulier ou sur un thème plus contemporain peut concevoir des sketchs sans véritable costume, principalement quand il n’y a que peu de personnages. Le costume permet au public d’identifier immédiatement les personnages : qui est le roi, qui est le guerrier, qui est le paysan, qui est le prêtre, qui est la belle princesse… En fonction du feu de camp, les costumes peuvent être plus ou moins élaborés, les accessoires plus ou moins nombreux. Cela peut se limiter à un foulard, une cape, un chapeau, un masque, une couronne, etc. Un accessoire bien choisi vaut souvent mieux qu’un costume mal réussi. En tout cas, il ne doit pas y avoir de déguisements grotesques, à moins que l’effet ne soit délibérément recherché. Le goût du beau s’acquiert et il faut laisser l’imagination s’exprimer.

Etant donné le temps nécessaire à la préparation d’un sketch (préparation des décors, costumes, mise en place des acteurs…), il importe que les acteurs s’y prennent suffisamment à l’avance dans le déroulement de la veillée, afin d’éviter les " blancs " : tout doit s’enchaîner parfaitement.


LE JEU

Le jeu, lors d’un feu de camp, permet de faire participer le public : les équipes encouragent leurs représentants et les participants peuvent montrer leurs talents, leur sens de l’improvisation, leur don d’observation, leur rapidité, etc.

Comme pour le sketch, la réussite d’un jeu ne dépend pas tant de la trame que de la façon dont il est présenté. Trop souvent, on voit un meneur s’avancer et dire platement : " Bon, ben, on va faire un jeu. J’ai besoin de trois volontaires… " Non ! Là encore, le jeu doit s’intégrer parfaitement dans le déroulement du feu de camp. Il faut prévoir une petite mise en scène pour capter l’attention du public : l’effet est ainsi tout autre si un personnage revêtu d’une grande cape et d’un masque ou d’un chapeau bondit au milieu de la scène, pousse une grande exclamation et raconte une brève histoire, une petite légende, un événement qui vient de lui arriver… Tous les regards se focalisent alors automatiquement sur lui, le décor est posé, la trame du jeu est énoncée en y intégrant le thème de la veillée.

Exemple : un jeu classique est celui où deux équipes s’affrontent en prouvant leur rapidité à échanger de places à un signal donné; une sorte de chaise musicale par équipe en somme. Le jeu est en lui-même assez basique mais peut être des plus amusants si un petit scénario est préparé. Dans le cas d’un feu de camp sur le thème de la mer : Vêtu d’une grande cape, d’un casque et d’une hache, un personnage s’avance triomphalement : " Je suis Hrolf " Marche-à-pieds ", connu sous le nom de Rollon, le Northman aux longues jambes ; je suis la terreur des mers ; mes Vikings sont les meilleurs combattants ; pas un roi, par toutes les contrées, ne résiste à nos puissants drakkars. J’ai fait de Rouen ma place d’armes et je contrôle tout le pays entre l’Epte et la mer ; j’ai ravagé Nantes, Angers, Le Mans ; de Blois à Senlis, après mon passage, pas un arpent n’était labouré ni en blé, ni en prés, ni en vignes " Un second, vêtu de même, s’avance à son tour, et réplique, hargneux : " Eh bien moi, je suis Siegfried ; et c’est moi la terreur des mers et des terres ; toi, tu as été mis lamentablement en échec devant Chartres ; c’est moi qui prendrai Paris et qui contraindrai le roi Charles à me laisser ses terres. " Les deux Vikings décident finalement de s’affronter en organisant un tournoi entre leurs meilleurs drakkars pour que le plus fort soit désigné. Ils choisissent alors dans le public, chacun de leur côté, leurs meilleurs guerriers qui prennent place dans leurs drakkars (assis en deux lignes parallèles) : à un signal (par exemple à un coup de sifflet ou chaque fois qu'est prononcé un certain mot) les participants se lèvent le plus promptement possible et vont s'asseoir aux places de l'autre équipe : le dernier assis est éliminé du jeu et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une personne. Le jeu est lancé et d’une façon autrement originale et stimulante.

Le Meneur de jeu est là pour expliquer les règles du jeu, pour encourager les participants et pour canaliser les débordements d’enthousiasme. C’est à lui de sentir quand il doit mettre fin au jeu : le prolonger trop longtemps peut souvent lasser le public et les participants eux mêmes.

Là encore, l’imagination, la mise en scène et le sens de l’à-propos sont les clés de la réussite.


LE BAN

Le ban est un bruit, une phrase en leitmotiv ou une clameur rythmée dont le but est de ponctuer, d’une part, un numéro qui vient de s’achever, et d’autre part d’exprimer à l’adresse des acteurs les sentiments du public ou du chœur, soit l’admiration, soit l’étonnement, soit l’humour ou l’ironie. Rappelons que l’on applaudit jamais lors d’un feu de camp : le ban remplace donc les applaudissements consécutifs à un sketch ou à un jeu réussi.

On peut distinguer quatre sorte de bans : les bans frappés, les bans parlés, les bans chantés, les bans mimés ou animés. Quelque soit son mode, il dit être fortement rythmé. Le public doit pouvoir participer au ban : le ban n’est là que pour lui permettre de sortir de sa passivité, le ban s’offre à lui comme l’unique occasion de manifester bruyamment ce qu’il ressent. Par le ban, le public s’extériorise, il entre dans le jeu.

A côté des bans classiques, il y a tous ceux que l’on improvise sur le vif, et ces bans impromptus sont souvent les meilleurs.


LA DANSE

Ajouter des danses à un feu de camp permet de l’égayer. Il faut choisir des danses simples : les pas compliqués ne se voient pas dans la nuit. Les danses du feu se prêtent particulièrement aux feux de camp, mais les danses régionales pour présenter une contrée peuvent également être présentées.

Si l’on a pas la possibilité de costumer harmonieusement les danseurs, il est toujours possible de créer simplement un ensemble : par exemple en nouant un foulard sur la tête ou en portant une ceinture de couleur vive…

Il faut penser au coup d’œil d’ensemble et se dire qu’une présentation impeccable est la moitié du succès de la danse présentée.


L’ÉVOCATION HISTORIQUE

Une évocation historique, c’est présenter une époque (pour un pays, une région), un grand personnage (religieux, militaire, civil) et faire découvrir les méconnus.

Il s’agit d’évoquer, c’est-à-dire de suggérer, sur un espace réduit, avec des moyens restreints et des accessoires et costumes limités. Pourtant, il est important de pouvoir donner à son évocation la forme la plus belle. En faire une histoire, un récit ou un dialogue. Qu’il y ait une trame, un fil directeur. Pour cela, on peut utiliser des textes d’auteurs à adapter : c’est en général bien écrit, profond réfléchi et encourage un vrai travail de répliques et de mise en scène (ex : Le procès de Jeanne d’Arc de Péguy, les Fioretti de St-François, Un homme pour l’éternité autour de saint Thomas More).

Si vous composez un texte, essayez de lui donner une unité, une trame et insistez sur les dialogues. Mais si vous pensez que faire apprendre ceux-ci s’avère périlleux, faites tout lire par une voix " off " ou abordez un mode purement narratif par cette même voix. Le narrateur doit être mis en valeur : s’il n’est pas au milieu de la scène il est debout à une des extrémités, à un endroit où il est vu de tous ; il peut être entouré de porteurs de torches, être déguisé ou vêtu d’une grande cape.

Dans l’évocation d’un personnage, un petit épisode significatif est toujours plus vivant qu’un pensum exhaustif. Il convient de lutter contre les anachronisme verbaux : éviter que Godefroy de Bouillon ne dise à ses chevaliers avant de libérer Jérusalem : " Messieurs, réglons nos montres ". Chassez les mots vagues, vulgaires ou trop contemporains.

Eviter à tout prix de faire rire dans certaines situations qui ne s’y prêtent pas, même si l’occasion se présente (Saint Paul sur le chemin de… Dallas). Pour éviter ces situations, il est préférable d’éviter les travestissements.

QUELS THEMES ? QUELS PERSONNAGES ? Les saints, connus (Sainte Jeanne d’Arc, les Apôtres…) ou méconnus (Saint Jean de Brébeuf, Sainte Elisabeth de Hongrie…), les martyrs et les premiers temps de l’Eglise (Sainte Blandine, Saint Tarcisius…), la chevalerie (Baudouin IV de Jérusalem, Joinville…), les guerres de Vendée (Charrette, Cathelineau, Bonchamp…), de l’aventure coloniale (Lyautey, le Père de Foucauld…), les grands soldats (Foch, Vauban, Sonis…), les scouts (Baden-Powell, Larigaudie…), l’histoire des provinces de France ou de grands pays de la Chrétienté (Terre sainte, Irlande…). Il vaut mieux éviter des sujets trop polémiques ou trop récents, surtout avec les plus jeunes.

LES COSTUMES : quelques détails peuvent tout changer : il y a une grande différence entre un Bayard en short, tee-shirt, baskets, avec une vague plume à un bob, et un Bayard en armure scintillante. Le carton et la peinture, ça existe : on ne demande pas de forger de l’acier ! Avec du carton, du bois, du tissu et un peu de patience, il est possible de faire des costumes très réalistes et représentatifs. Il existe des livres sur les costumes : Liliane et Fred Funcken ; Pierre Joubert, l’Encyclopédie Viollet le Duc.

Il convient de faire attention aux chaussures : des spectateurs assis au niveau du sol verront tout de suite ces détails. Il est donc possible d’éclairer le haut des corps avec des torches.

Si vous voulez faire " couleur locale ", évitez au spectateur ce qui dans vos accessoires ou costumes est typique du contexte extérieur. Dans un souci de réalisme, il est préférable d’ôter les montres et les lunettes (à moins de camper Guy de Larigaudie ou le Père Kolbe), car cela gâche en général tout et fait bâclé. On écoute médiocrement ce qui apparaît médiocre.

Il est toujours possible de présenter une évocation plus minimaliste, où les personnages ne seraient caractérisés que par un accessoire ou pièce de costume significatif : un bâton, un chapeau, une cape. On peut, par exemple, faire porter à chaque personnage une longue couverture très informe et ne suggérant rien. Cela est possible pour des faits à portée universelle : la Passion par exemple. Mais il faut alors qu’il y ait une vraie mise en scène, d’excellents dialogues et des acteurs qui sachent faire oublier qu’ils portent un uniforme ou une tenue de camp pour que le spectateur ne voie que l’essentiel. Autant dire que c’est périlleux.

LES DÉCORS : s’ils sont difficiles à réaliser en camp, des rideaux, coffres, voire charrette, sont parfois possibles. Le spectateur est toujours sensible aux efforts de crédibilité, aux effets recherchés, aux prouesses techniques. Elles renforcent son attention.

L’ÉCLAIRAGE :   Bougies et torches sacralisent et donnent une touche et une ambiance historique. Le feu est capital ; il est universel et suggère qu’on est ailleurs dans le temps et l’espace. C’est le feu autour duquel se réchauffent Saint Pierre avant que le coq ne chante, le général de Sonis avant la bataille de Loigny, Napoléon à Austerlitz. Il est rare qu’on ne puisse utiliser un feu, sauf à raconter l’histoire des martyrs du Lac Galgano (condamnés par un empereur romain à mourir de froid sur un lac gelé). Spots, couleurs, feux de bengale, sont toujours bienvenus : il ne faut pas lésiner sur les effets pyrotechniques.

LA MISE EN SCENE : Ne pas faire trop long, mais, au besoin, couper par des chants en rapport avec le sujet ou l’époque traités. Suivre le texte, la réplique bien sue ou bien travaillée. Quand on prononce une phrase historique, il faut le dire lentement et de façon un peu solennelle : " Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ".

Préférer le dialogue aux voix " off ", mais celles-ci assurent toutefois les transitions, car il faut éviter les suites de tableaux décousues. L’évocation doit être construite, ne rien laisser au hasard et à l’improvisation.

Multiplier les personnages qui ont " leur mot à dire " mobilise l’attention des spectateurs en la forçant à se déplacer d’un personnage à un autre.

Bien articuler, bien se déplacer, mais aussi utiliser le silence qui va avec la nuit tombante. Un silence dans une évocation favorise la réflexion, la prière, l’émerveillement. Mais ce doit être un silence travaillé, pas la simple exploitation d’un trou. Etre sûr que les acteurs parlent bien fort et sachent leur texte, quitte à ce qu’il soient un peu pontifiants et manquent de naturel. Les hésitations et les bredouillages ruinent tout ce s’ils sont trop fréquents. Ils sont plus facilement tolérables dans les sketchs drôles car ils peuvent ajouter à l’effet comique, ou au moins ne le détruisent pas.

Mais ces à peu près ne sont pas admissibles en sketchs de fin de veillée qui doivent être l’aboutissement spirituel du feu de camp , son apogée qui débouche sur la prière. C’est le moment où nos anciens, nos références, notre esprit et nos attachements sont le plus présents. C’est sur ces " images " et ces paroles-là que l’on va se coucher ou que l’on entame une veille de nuit.

L’évocation historique est un art difficile qui demande du temps, de la préparation, de l’expérience et de bons acteurs. Elle doit être beaucoup plus travaillée qu’un sketch drôle car elle n’a pas la même importance dans la mystique de la veillée.

cf. Daguet, Sachem n°90.


CE QU’IL FAUT ABSOLUMENT ÉVITER DANS UN FEU DE CAMP

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